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Editorial du numéro 50

-mars 1999-

 

Cinquante numéros, près de dix mille pages, plus d'un millier de signatures. A s'arrêter un instant sur des chiffres, on est pris de vertige: tant de signes imprimés, et pourquoi? Une espèce de bilan s'impose : coup d'oeil rétrospectif sur une aventure aussi simple que compliquée, celle, significative, d'une revue littéraire d'aujourd'hui. Elle a sa petite histoire. Le titre et sa métamorphose en résume l'essentiel.

Avant Le nouveau recueil  il y eut en effet recueil, fondé en 1984, avec Richard Millet. Le premier numéro présentait un dossier intitulé « Crise de l'amour de la langue ». Il signifiait clairement notre souci d'alors: rassembler des écrivains « venus d'horizons divers, mais pour qui l'avancée de l'écriture [était] inséparable de l'extrême exigence de la langue ». Ce recueil , né d'une amitié, je l'ai quitté en 1991: des divergences de convictions, d'abord fructueuses, prenaient de plus en plus l'allure d'oppositions. Que l'on me permette de ne pas m'y attarder ici: en choisissant de donner quelque lustre à son cinquantième numéro, la revue assume son histoire; elle n'entend pas régler de comptes. Le temps passé a suturé ces déchirures.

En 1995 Le Nouveau recueil, remplaça recueil., auquel Richard Millet, par lassitude, venait de mettre fin. Je repris les rênes. Un comité fut installé et le titre modifié. La revue précisa ses objectifs: « rassembler la diversité des pratiques littéraires et critiques », refuser le « rejet crispé du contemporain ».

Que l'on me pardonne de résumer ainsi des péripéties qui ne gagneraient en intérêt qu'à être évoquées plus précisément, calendriers et textes en mains. Si je les rappelle, c'est que je les crois significatives de l'évolution et de l'identité même de cette revue que toute son histoire a conduite à devoir prendre en compte une entente toujours plus aléatoire et diverse du contemporain. En ajoutant un adjectif devant son appellation d'origine, recueil  entendait marquer son renouveau et son souhait d'une ouverture plus large, ou d'une attention plus aigüe, aux « chantiers du présent », mais il en venait également à signifier quelque nouvelle façon de recueillir des textes, variable et perplexe, puisque ne se réclamant d'aucun manifeste, voire ne reposant que sur des convictions peu sûres, entretenues seulement par l'inquiétude et la lecture, elle aussi incertaine, des pages reçues ou suscitées. Décider d'éditer les textes des autres, c'était moins prononcer des jugements de valeur que retrouver en eux un écho à nos anxiétés touchant à l'écriture elle-même.

Si sûr de soi que puisse donc paraître ce titre, si confiant puisse-t-il sembler en l'acte même de lire et de recueillir, il ne dit en définitive rien d'autre qu'une aventure toujours incertaine de ses fins et de ses moyens. Il ne constitue en rien une intimation, même s'il suppose, à peine voilées, une certaine idée de la littérature et de sa poursuite óà commencer par le maintien de cet espace éditorial, pour certains anachroniques, qu'est une revue de littérature et de critiqueó une tension entre l'ancien et le nouveau, comme entre recueillir et innover. Presque un geste de conservation s'il s'agit de verser du neuf au patrimoine, ou plus modestement d'entamer des processus de publication et de reconnaissance dont on peut espérer qu'ils ne resteront pas sans lendemain. Conduire jusqu'au papier imprimé les écrits de quelques jeunes gens, en un temps qui les dédaigne, les mêler aux pages d'auteurs déjà reconnus, leur donner courage, c'est aussi cela une revue. Sans oublier que ces écritures nouvelles viennent apporter l'énergie recherchée, puisqu'éditer autrui, c'est aussi s'en nourrir et s'en trouver changé.

Le Nouveau recueil  est pour désigner ce geste un titre minimal et quasi-effacé. Cette neutralité, non interventioniste, est manière de retrait. Sans doute souligne-t-elle, dans le champ du contemporain, une crise d'identité (ou d'identification) que nous entendons assumer pleinement, pensant que le retrait, ici, est condition de l'avancée. Si nous ne continuions d'espérer que du sens et des formes puissent naître de l'inquiétude même, nous cesserions d'écrire comme de publier les écrits de qui que ce soit.

Entrer dans la logique de quelque « nouveau recueil », c'est donc prendre son parti de l'hétérogène. Le décousu constitue par excellence ce contemporain propre aux livres sur la diversité duquel Le Nouveau recueil entend avoir pignon. Si recueillir a du sens, c'est dans la mise ensemble. Nous groupons, pour décloisonner. Désireux d'accomplir entre les auteurs ce que la modernité a accompli entre les styles et les genres. Mêler et rapprocher. Faire se croiser vers et prose. Changer de rythmes et de vitesses . Le Nouveau recueil n'est pas une revue de poésie: regroupements ou divisions n'y ont pas résulté de parti-pris formels mais de convictions recherchées, touchant à l'acte même d'écrire et à son sens. Pourtant, il privilégie la poésie comme ce coeur où bat le travail de la langue et du sens : ni divinité ni danseuse, elle reste centre de gravité, parce qu'elle est aussi un espace de mesure et de pensée, recherche toujours et creusement.

Quiconque prendra la peine de considérer de près les sommaires y observera des lignes de force, des strates, des fidélités. Des noms reviennent, des voisinages et des soucis. Quelques-uns sont des nôtres depuis la première heure: en repasser périodiquement par leur encre et leurs pages consolide la revue. Le souci de la langue demeure, mais son entente se modifie. Le choix des thèmes tire des fils, tout autant que le souci de garder le contact, à travers chroniques et notes de lecture, avec les publications d'aujourd'hui.

Le comité a traversé des orages et connu des péripéties. Classique histoire pour toute revue. Mais il reste un noyau d'amitiés. Encouragement et respect mutuel. Je remercie ici Corinne Bayle, Benoît Conort, Jean-Baptiste Goureau et François Trémolières grâce auxquels l'aventure continue. Quant à Patrick Beaune, l'éditeur, il logea à Seyssel recueil  dès son numéro 3, et fit naître Le nouveau recueil: c'est donc à lui que se voit naturellement dédié ce numéro 50, ainsi qu'aux écrivains qui ont bien voulu fêter avec nous cet anniversaire et à tous ceux qui ont accompagné, depuis son premier numéro, l'aventure de la revue.

 

Jean-Michel Maulpoix